Julien AVOM MBUME : un champion handisport polyvalent
Interview de Julien AVOM MBUME, jeune athlète international d’Haltérophilie handisport: champion d’Europe Junior en 2013 et champion du Monde Junior en 2014 avec un actuel record du monde en catégorie -80kg.
Julien a la particularité d’également concourir chez les valides et possède de multiples titres de champion de France junior de Développé Couché en catégorie -83kg.
Dernièrement, il a créé la surprise en se qualifiant pour les championnats de France Jeunes de Force Athlétique (Squat, Développé Couché et Soulevé de Terre).
En somme, un athlète de force polyvalent à découvrir.
PowerliftingMag : Bonjour Julien, merci d’avoir accepté cette entrevue. Présente-toi pour ceux qui ne te connaissent pas : âge, sport que tu pratiques, temps de pratique…
J.AM : Je viens d’avoir 23 ans. C’était ma dernière saison en Junior, je passe en Senior la saison prochaine. Cela fait maintenant un peu plus de 7 ans que j’ai découvert le Développé Couché, j’ai commencé le Soulevé de Terre beaucoup plus tard et j’ai commencé le Squat au mois d’octobre 2017 pour me faire plaisir, progresser et voir ce que ça pourrait donner.
PowerliftingMag : Combien pèses-tu ?
J.AM : Léger je suis à 75kg et lourd à 78kg. Lors de la pesée, il faut savoir que je me pèse sans prothèse et qu’on me rajoute un indice qui équivaut à 1,5kg en valide et 500g en handisport.
PowerliftingMag : Peux-tu nous en dire plus sur ton handicap ?
J.AM : C’est une malformation de naissance, le terme médical est « agénésie congénitale du membre inférieur droit », c’est-à-dire que je suis né sans pied et qu’il manque pas mal de morceaux. J’ai une cuisse, moins forte que la gauche mais tout de même présente. Je n’ai pas eu d’amputation due à un accident, j’ai toujours vécu comme ça, avec une prothèse, donc pour moi c’est normal. Ce n’est pas un handicap tant que la prothèse tient.
J’ai fait pas mal d’activités sportives, il y a eu beaucoup de casse de pied et notamment de la lame qui est censée être solide. Avec les répétitions d’impacts de saut, que ce soit au handball, au badminton, au volley…ça fragilise. C’est le cas pour les Squats, le Soulevé de Terre quant à lui fragilise un peu moins la prothèse. Je prends sur moi, il n’y a pas d’assurance qu’elle tienne. Ce n’est pas fait pour, normalement c’est une prothèse pour la marche du coup je l’utilise un peu plus que je ne devrais.
PowerliftingMag : Quel est ton passé sportif et comment es-tu venu à la pratique des sports de force ?
J.AM : J’ai toujours fait du sport. Mon père était lutteur de haut niveau avec le Cameroun, il a remporté les Jeux Africains, il a fait les Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996, du coup, j’ai grandi avec. On peut dire que le sport était un peu naturel dans la famille mais je n’ai jamais été poussé. C’était moi qui voulais, ce n’était pas « pour faire comme », c’était naturel. Du coup, j’ai fait l’École des Sports : c’est large, tu découvres un peu tous les sports. Après, j’ai fait du Football en club pendant 2 années, après du Handball, le dernier sport en club avant la Force était du Golf. Sinon, j’étais en section sport au lycée.
J’ai d’abord découvert le Développé Couché en Handisport. Il y avait une manifestation organisée par une fédération française handisport à l’Hôtel de Ville de Paris. Je n’avais jamais poussé une barre et j’ai fait 90kg. Je me suis inscrit au club un mois et demi plus tard.
PowerliftingMag : Où es ton club ?
J.AM : Je pratique au CHM Torcy. C’est une chance car j’habite Torcy. Des clubs comme ça de Musculation, d’Haltérophilie, de Force Athlétique, il n’y en a quasiment pas dans le coin. Ils sont très loin et en termes de déplacement je ne pense pas que je pourrais y aller, je serais obligé de m’entraîner dans une salle privée. Ici, j’ai les conseils de Pascal MEZIERE qui est le président du club et mon entraîneur. Il a des années et des années d’expérience, du coup, je peux lui faire confiance sur le travail mis en place et c’est important pour progresser.
Julien et son entraîneur Pascal MEZIERE
PowerliftingMag : Ton club est-il équipé d’un banc d’Haltérophilie handisport ?
J.AM : Le banc d’Haltérophilie Handisport n’est pas arrivé tout de suite, je me suis d’abord entraîné sur banc valide. Au club, je crois que je me suis entraîné pendant 2 ans sur un banc valide, je faisais des compétitions handisports en m’entraînant sur un banc valide. Par la suite, on a eu un banc handisport et c’est vrai que c’est une méthode d’entraînement, ça varie bien. Sur le banc handisport tu es à plat et c’est vraiment la force pure. Bizarrement, je n’ai pas tant de différence de performances si je m’entraîne régulièrement sur un banc handisport et sur un banc valide. Ça dépend des personnes, mais pour moi ça ne change pas trop.
PowerliftingMag : Quelles sont tes meilleures barres ?
J.AM : 175kg au Développé Couché, 240kg au Soulevé de Terre et 205kg au Squat.
PowerliftingMag : Tu t’es très récemment mis à la Force Athlétique malgré ton handicap, comment t’es-tu lancé ?
J.AM : Les 3 mouvements étaient vraiment un défi, casser un peu avec le Développé Couché car j’avais eu pas mal de blessures, je stagnais. Du coup, pour mettre de la variété dans l’entraînement, au mois d’octobre, avec Pascal, on s’est dit que je ferais du Squat. C’était aussi une envie que j’avais d’en faire. J’avais repris le Soulevé de Terre fin juin, ça faisait 2 ans que je n’en avais pas fait à cause de douleurs dans le bas du dos. J’ai repris petit à petit, le but était vraiment de mettre plus de variété dans l’entraînement. Puis, au fur et à mesure, j’ai progressé.
On a fait une première compétition au niveau départemental où j’ai pu me qualifier pour les inter-régions. Et, avec les inter-régions au mois de janvier, j’ai réussi à avoir le niveau requis pour être dans les 8 meilleurs jeunes de ma catégorie et j’ai aussi pu faire les minimas pour le collectif France. Je n’attendais rien de spécial, je ne visais ni le collectif France ni les championnats de France en particulier. Je visais simplement une progression au Squat, au Soulevé de Terre et me faire plaisir. Pour ce qui est de la compétition, comme j’ai le niveau bah on y va.
PowerliftingMag : Avec toutes ces disciplines : Haltérophilie handisport, Développé Couché en valide, Force Athlétique…ton planning de compétitions doit être bien rempli. Comment choisis-tu tes échéances ?
J.AM : Il faut savoir qu’il y a 3 compétitions au niveau national en Handisport : la coupe de France au mois de novembre, un championnat de France/challenge d’hiver qui se déroule vers le mois de mars et un championnat de France reconnu à l’international qui est ouvert aux étrangers au mois de juin. Ces 3 compétitions en handisport sont bien réparties. Ensuite, pour les compétitions à l’International en Handisport avec l’Équipe de France, on en a généralement une dans la saison voire deux mais c’est très rare, ça dépend de la date et de l’importance. Par exemple, la saison prochaine, ce seront les championnats du monde au Kazakhstan en août 2019 donc on sait qu’on a largement le temps de se préparer.
Pour les compétitions en Développé Couché valide, il y a une compétition obligatoire pour se qualifier et comme j’ai assez de marge pour ne pas me cramer et devoir faire des grosses barres, je fais des barres plus légères qui me permettent quand même de me qualifier. Ensuite, on fait les championnats de France.
Pour les 3 mouvements (Force Athlétique), c’est récent et on verra l’année prochaine si je progresse et, comme je passe Senior, si je peux prétendre à une qualification aux championnats de France Senior.
PowerliftingMag : Avec toutes ces échéances, comment gères-tu tes entraînements ?
J.AM : Pour moi, c’est un tout. Le Développé Couché est mon mouvement principal, je sais que les compétitions les plus importantes seront les grosses échéances de Développé Couché donc on se focalisera plus sur ça. Le reste c’est du bonus mais du bonus qui n’est pas fait à la va-vite, tu n’as rien à perdre mais tu te prépares quand même. Le Soulevé de Terre renforce tout, c’est un mouvement de musculation. La force reste de la musculation, de la musculation poussée, du coup c’est un travail complet de renforcement pour moi.
Si je sais que je n’ai pas de compétition en Développé Couché valide mais que j’en ai une importante en Handisport, eh bien je me focaliserai sur le banc handisport, je ferai ma préparation dessus. S’il y a les deux, compétitions en valide et en handisport qui se chevauchent, j’alternerai une séance avec banc handisport et une séance avec banc valide. Moi ça me convient, ça ne me perturbe pas. Il faut s’adapter, je ne me pose pas la question de savoir si ça va être plus dur sur le banc handisport, plus facile sur le banc valide, ou l’inverse. Le poids sur la barre reste le même. Si tu es fort, réellement fort, eh bien tu es fort sur le banc valide et sur le banc handisport.
PowerliftingMag : Haltérophilie handisport, Développé Couché en valide, Force Athlétique…intéressé par la pratique d’autres sports ?
J.AM : J’aimerais bien me tester un jour en Cyclisme sur Piste car j’aime bien tout ce qui est deux-roues, notamment le vélo. Sur la piste tu as les sprinters, quand on fait du développé couché en une répétition, quand on n’est pas dans l’endurance, c’est vraiment de la force pure, c’est un mouvement explosif comme pour un sprinter. Avoir cette sensation de vitesse sur un vélodrome et sur le vélo, j’aimerais bien.
Également en athlétisme, ce que j’aime c’est le Saut en Longueur parce que ça demande des qualités de vitesse, d’explosibilité, de détente, il faut avoir un bon pied, un bon placement, c’est technique, c’est le gainage…et pendant un bref moment tu as un peu l’impression de voler, d’être en suspension. C’est une sensation qui est agréable et j’aimerais aussi me tester dans ce sport.
PowerliftingMag : Félicitations pour ta première médaille internationale en Haltérophilie handisport chez les Seniors en mai dernier. Quels sont tes objectifs à moyen et long terme ?
J.AM : Mes objectifs sont de progresser, forcément. Il y aura les championnats du monde d’Haltérophilie handisport en 2019 donc là, ce qu’il faut, c’est avoir le niveau pour me qualifier et faire un meilleur championnat du monde qu’en 2017 où j’y étais allé blessé. Du coup, faire de vraies grosses barres qui ressemblent à quelque chose.
Il y a aussi la qualification pour les Jeux Paralympiques qui auront lieu dans moins de 2 ans, la dernière compétition qualificative sera normalement en juin 2020 et les Jeux en septembre 2020. Ça va arriver vraiment très très vite, il n’y a pas de temps à perdre mais il ne faut pas non plus précipiter les choses. Il faut y aller étape par étape tout en gardant cette motivation à côté de soi.
Médaille de bronze aux championnats d’Europe d’Haltérophilie handisport 2018 à Berck-sur-Mer
Mon objectif est vraiment de retrouver une force sur la partie gauche de mon corps par rapport à la droite parce qu’avec les blessures il y a eu un déficit entre mon côté gauche et mon côté droit, du coup je travaille beaucoup sur ça, sur la récupération de la force, de la résistance et de tout mon côté gauche. Ce n’est pas que le bras, c’est vraiment tout le côté gauche de mon corps qui a subi un traumatisme. Ça prendra le temps que ça prendra mais je continuerai à essayer de rééquilibrer tout ça.
PowerliftingMag : Des conseils à donner pour le pratiquant débutant ?
J.AM : Ce que je conseillerais c’est d’abord de trouver une personne qui s’y connaisse. En musculation, il y a tellement de préjugés, d’idées faites, du coup on voit plein de choses. Il y a tellement de choses que parfois on ne sait pas vraiment quoi faire, comment le faire. C’est comme en athlétisme: pour quelqu’un qui va sauter à la perche, s’il veut progresser et qu’il n’en a jamais fait, ce sera difficile de progresser en ne regardant que des vidéos donc il faut aller vers un entraîneur, quelqu’un qui a l’expérience, qui t’amène progressivement à te développer dans la discipline, qui t’apprend les fondamentaux. Si tu veux aller tout de suite sur des grosses charges, tout de suite sur des choses compliquées, tu ne vas pas forcément progresser, tu peux te blesser, tu grilles les étapes. Il faut faire étape par étape, si les étapes montent vite, c’est bien, si elles montent plus lentement, il faut être patient. C’est ça le sport, c’est la patience, c’est sur le long terme. Il faut savoir que la Force est un sport qui demande du temps, il faut de la maturité. La force se garde longtemps donc il ne faut pas avoir peur de faire 10 ans, 15 ans, 20 ans de pratique avant d’atteindre son meilleur niveau. Il y en a qui l’ont plus jeune, tant mieux, mais d’autres peuvent l’avoir bien plus tard.
PowerliftingMag : Pour finir, des idées pour le développement de nos disciplines si peu médiatisées ?
J.AM : C’est difficile d’avoir un regard extérieur car, en France en tous cas, ce n’est pas diffusé à la télévision, on en parle peut-être un peu dans les journaux locaux quand il y a des performances d’athlètes mais je sais qu’il y a énormément de pratiquants que ce soit en compétition ou en salle. La pratique du Squat, du Soulevé de Terre, du Développé Couché, que ce soit pour d’autres sports ou pour s’entretenir, il y a énormément de pratiquants.
Déjà, je pense que le fait d’avoir séparé les disciplines avec et sans combinaisons a ramené beaucoup de monde et notamment des jeunes. Les performances sans équipement/combinaisons ont bien progressé grâce à cela donc c’est bien. Au niveau français, la Force est une discipline reconnue donc il y a des athlètes qui ont le statut de sportif de haut niveau, c’est déjà une reconnaissance de L’État qui est importante, c’est-à-dire que ce n’est pas un sport marginal, c’est au ministère des sports. Quand on regarde la séparation qu’il y a eu entre l’Haltérophilie et la Force Athlétique, la discipline qui en pâtit le plus est l’Haltérophilie ce qui veut aussi dire que la Force Athlétique a quand même des ressources au niveau du développement.
Après, c’est culturel aussi. En France tu as le Football, le Rugby, maintenant le Handball et d’autres sports ponctuellement médiatisés comme l’Athlétisme et la Natation. Mais si tu vas dans d’autres pays comme en Iran : l’Haltérophilie, le Développé Couché, la Force…c’est reconnu. En Égypte c’est pareil : c’est reconnu. Au Nigeria comme en France, il y a des remises de prix des meilleurs athlètes toutes disciplines confondues. Par exemple, c’est souvent Teddy RINER qui le reçoit en France. Il faut savoir qu’au Nigeria, c’est une athlète handisport d’Haltérophilie qui a reçu le prix féminin de la meilleure athlète, peu importe que ce soit valide ou avec un handicap, c’est elle qui l’a reçu donc c’est aussi culturel, ce sont des mentalités et il faut un développement…
Difficile de changer les choses mais c’est aussi peut-être le fait que la Force ne soit pas une discipline olympique, et encore… La Force Athlétique n’est pas la seule discipline dans ce cas-là, tu as plein de disciplines qui sont aux Jeux Olympiques dont on ne parle jamais sauf pendant les Jeux. Par exemple, au Tir au Pistolet, tu as un français vice-champion olympique. On parle un peu du Canoë-Kayak parce qu’il y avait Tony ESTANGUET, mais sinon… Au Pentathlon Moderne, il y a une vice-championne olympique française, on parle un peu d’elle, mais la discipline… Si on demande quelles sont les épreuves en Pentathlon Moderne, je crois qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui sont au courant. Ce n’est pas que la Force Athlétique qui est un peu dans l’anonymat, tu as de gros sports et après tu as des sports qui font ce qu’ils peuvent.
Du coup, il faut vraiment jouer sur une performance car si tu as un athlète qui est au niveau mondial, un français qui écrase tout, ça va forcément ressortir. En fait, il faut un athlète qui ait une différence et aussi des performances. Si la Fédération arrive à relayer dans les médias, ça peut faire ressortir une ou quelques personnes. Par exemple, le judo est une discipline qui est phare depuis longtemps mais Teddy RINER a fait exploser la visibilité même si c’était une discipline où la France gagnait souvent. C’est mondial, ce n’est pas qu’au niveau Français. Il est indétrônable, c’est comme BOLT, c’est comme PHELPS, ce sont des gars comme ça qui sont presque invincibles, qui font de grosses perfs… Tu peux réussir à les faire ressortir. Je pense que ça passe par la performance. Il faut réussir à faire cela et ce n’est pas facile, il y a de la concurrence…
Julien est sélectionné pour les championnats d’Europe de Développé Couché qui auront lieu du 9 au 12 août à Bordeaux, il tirera le samedi 11 août.
Nous lui souhaitons de la force, du courage et une bonne continuation pour la suite !
(Note: Julien a remporté la médaille de bronze aux championnats d’Europe de Développé Couché à Bordeaux, bravo à lui !)
Julien, un Champion brillant et aussi sympathique qu’accessible !